Même si l’oral du bac français est annulé, révisez vos figures de style avec nous
Cette période est étrange.
Soit. Nous la vivons à Décalez ! comme une série de paradoxes à résoudre. Tout n’est qu’oxymore. Vous savez, cette figure de style qui nous a été enseignée au collège avec toute la bande : métaphore, hyperbole, allitération, euphémisme et compagnie. Il est défini comme le rapprochement de 2 termes (en général un nom et un adjectif) dont le sens devrait les éloigner a priori. Petit exemple : « une obscure clarté »[1].
Pour nous, ce confinement a été violemment doux. La reprise est d’une anormale familiarité, bien que nous ayons de stables incertitudes. Balancés entre envies furieuses et perspectives futures non présentes, nous avons sillonné sur un sentier cahoteux à la visibilité insaisissable. Toujours est-il que nous souhaitons continuer coûte que coûte à être d’une pertinente impertinence, au service d’un monde du travail déshumanisé par nécessité. Comme l’a mentionné notre précédent article, nous avons l’espoir furieux de re-créer de la proximité malgré la distance, du collectif dans nos cocons individuels.
Mais comment faire ?
Nous n’avons pas envie de surfer de manière obscène sur une vague qui ressemble à un Tsunami économique et sanitaire. Cette crise a le mérite de mettre en lumière l’opportunisme inhérent à notre système, ainsi que l’utilité profonde des différents corps de métier. Autant vous dire qu’à Décalez ! on ne sauve pas des vies[2]. Mais ce que l’on sait aussi, c’est que le monde du travail souffre d’un oubli de la chair que l’on peut participer à réduire, et encore plus aujourd’hui.
Le hic, c’est que lorsque l’on défend les valeurs du collectif, la confiance, les relations authentiques et la coopération dans un climat où méfiance et distance sont les maîtres-mots, notre place est compliquée à trouver.
Alors on s’est réunis – à 1 mètre de distance, on vous rassure – pour essayer de redéfinir nos actions dans ce contexte. On a fait insatiablement équipe pour souder la vôtre.
Les questions ont émergé en arborescence, tels les improvisateurs que nous sommes. La priorité des organisations est à la reprise économique. Et les gens dans tout ça ? Comment vont-ils se mettre au service de ce concept flou alors que leur vision du monde est déstructurée ? Est-ce qu’ils vont bien déjà (parce que nous, bof quand-même) ? Dans quelle mesure peuvent-ils revenir au travail « comme avant » alors qu’on sait que ce n’est plus « comme avant » ? Et est-ce que ce retour à la normal est souhaitable ? C’est chiant les masques, non ? Qui re-veut du café ?
Que se passe-t-il quand l’exception devient la règle ? (Pour le bac de philo, vous avez quatre heures)
Nous avons posé la question à ces fameux gens. Dans les réponses que nous avons reçues, il demeure une constante : tout le monde est perdu. Perdu dans les méandres de ses envies, de ses peurs, de sa volonté de reprendre une vie professionnelle « normale » adossée à une profonde remise en question, perdu dans sa peur des autres et le manque de contacts humains.
Cette forme d’alignement collectif des besoins a quelque chose de rassurant : on est plus ou moins dans le même bateau. Cela nous semble inédit. On a tous été traversés par des cycles allant de « le télétravail c’est génial » à « mes collègues me manquent, j’en peux plus », en passant par « bonjour j’ai juste envie de regarder des séries en mangeant des cacahuètes ». Partant de ce constat (subjectif, on vous l’accorde), l’idée a été de suivre notre intuition : ce dont nous aurions besoin, les autres travailleurs en ont potentiellement besoin aussi.
A titre personnel, nous sommes en quête de contacts, de liens, d’émulations, de découvertes, de surprises, de joies, et de légèreté[3]. Et sacré coup de chance : l’improvisation théâtrale se constitue de ces ingrédients. Pour remercier notre karma, on s’est donc dit qu’on allait faire une tambouille de tout cela. Une recette de grand-mère, de celles qu’on trouve dans des vieux cahiers nichés au fin fond d’un tiroir. Plus que jamais l’adage de l’impro « faire avec l’existant » n’a pris autant de sens.
Et il va falloir avancer tel un funambule sur le fil (ça c’est l’épreuve d’EPS)
Tiens, on n’a qu’à faire du nouveau d’antan, du classique innovant, de l’inédit contextuel. On ne cesse d’évoquer « le monde d’après », mais qu’en est-il du « monde de maintenant » ? Nous avons décidé de nous saisir du présent, parce que c’est la matière première de l’impro, et qu’aujourd’hui émerge un certain type d’attentes. Elles changeront inexorablement après-demain. Toujours est-il que pour le moment, les travailleurs ont besoin de retrouver leur groupe de pairs, leurs rituels, bref, tout l’informel quotidien qui donne du sens au labeur.
Nous sommes donc partis sur des projets oxymore : être seul ensemble, créer de la proximité distanciée, impulser une anxiété confiante, malgré tout. Nous avons décidé de ne pas faire fi des contradictions qui nous habitent tous en ce moment, par souci d’honnêteté. On sait que l’heure n’est pas à la formation, mais nous avons envie de continuer à transmettre. On sait que le contexte n’appelle pas à la fête, mais nous prônons la convivialité. On sait que la crise nous invite à l’éloignement, mais nous pensons que le lien humain est vital. Si, comme nous, le « faire collectif » vous apparaît comme une absolue nécessité, nous nous tenons à votre disposition.
Plus que jamais, nous faisons partie des « gens qui doutent »[4]. Mais le doute est sûrement la seule certitude que l’on partage tous. Nous ne cherchons pas à mettre de la cohérence dans nos oxymores. Nous allons lui donner corps et le faire vivre avec vous.
[1]C’est de Corneille. Pas le chanteur, le dramaturge.
[2]Bien qu’une cliente nous ait véridiquement affirmé un jour que c’était le cas (si tu nous lis, nous te saluons)
[3]Mais aussi : de fêtes, de spectacles, de festivals, mais est-ce vraiment le sujet ?
[4]Hommage à la magnifique chanson d’Anne Sylvestre